Effet de COVID-19 sur la production et la commercialisation du lait en Afrique: Les cas de Madagascar, du Burkina Faso et du Sénégal

Auteurs : Eric Vall (1), Christian Corniaux (1), Arona Diaw (2), Djibril Seck (3), Cheikh Sall (4), Mathieu Vigne (1), Lova Rakotomalala (5), Flavio Dias Ferreira (6) Souleymane Ouédraogo (7), Etienne Sodré (7), Idrissa Tall (8), Guillaume Duteurtre (1)

Contexte

L’épidémie de Covid 19 continue de s’étendre en Afrique. Au 25 may 2020, on dénombrait 64 388 cas dans les 47 pays de la région, avec un total de 1827 morts recensées par l’OMS[1]. Dans la plupart des pays, les autorités ont pris des mesures de confinement pour freiner la propagation de l’épidémie, tout en permettant le transport de produits agricoles[2]. La production, la transformation, et la distribution des denrées alimentaires ont en effet été considérés comme des services essentiels allant de pair avec des mesures sanitaires pour assurer la sécurité alimentaire des populations urbaines et rurales. Néanmoins les mesures de restrictions prises pendant cet état d’urgence, comme les quarantaines, les couvre-feux, les restrictions des transports en commun, l’intensification des contrôles le long des routes, la réduction des heures d’ouverture des magasins, la fermeture des frontières ont placé tous les acteurs des chaines de valeurs lait face à de nouveaux défis.

Nous présentons ici une première évaluation rapide des effets de l’épidémie et des mesures associées sur le secteur laitier dans 3 pays africains couverts par le projet AfricaMilk. La présente note s’appuie sur des informations recueillies auprès d’acteurs du secteur laitier au Sénégal, au Burkina Faso et à Madagascar. Nous nous appuyons aussi sur des articles de presse et des rapports d’ONGs et d’organisations professionnelles. Il apparait que les laiteries industrielles et les supermarchés ont joué un rôle important pendant la crise. Les grandes laiteries ont notamment permis l’achat du lait malgré les mesures de restruction de mouvement, et ont compensé les difficultés des plus petites laiteries. En revanche, de nombreux producteurs, collecteurs et mini-laiteries ont souffert de cette période, mettant en péril certains circuits de collecte.

1. Des perturbations de la collecte et de l’approvisionnement des laiteries

La collecte est le maillon de la chaine qui a été le plus rapidement impacté par la pandémie du Covid-19, du moins au début de la crise sanitaire et ce dès la mise en place des mesures sanitaires qui ont fortement perturbé l’acheminement du lait des fermes vers les unités de transformation.

A Madagascar, dans un Article de Midi Madagasikara du 31 mars 2020 on pouvait lire que « Au moins 50% de la production laitière est jetée chaque jour dans les régions à forte potentialité comme Analamanga, l’Itasy et le Vakinankaratra, car la plupart des collecteurs ou transformateurs ne viennent plus prendre leur production. Certains viennent quand même, mais tous les deux jours tout en réduisant les quantités ». A Banfora (Burkina Faso), un des responsable de la plateforme d’innovation lait de Banfora craignait que les conséquences sur l’activité soient énormes : « Ici nous sommes en quarantaine. Personne ne rentre ni ne sort de la ville. Les transformateurs ne peuvent plus livrer les produits aux clients. Les collecteurs n'ont plus accès aux unités de transformations du lait » (déclarait t-il le du 02 avril dernier).

Mais les autorités et les acteurs des filières ont pris des dispositions pour permettre la reprise des livraisons après quelques semaines d’interruption dans certains cas. Au Burkina Faso la directrice d’une mini-laiterie de Bobo_Dioulasso déclarait que « La direction régionale du Ministère en charge de l’élevage a envoyé aux postes de Gendarmerie situés aux différentes entrées de la ville de Bobo-Dioulasso des lettres comportant les noms des collecteurs principaux des différents centres de collecte de lait. Cela a permis la reprise des livraisons après plus de trois semaines d’interruption ». A Madagascar au début de la crise, les collecteurs se plaignaient cependant des longues attentes pour franchir les points de contrôle sur les routes, parfois 2 h avec les pertes de lait que cela peut engendrer (Article de Midi Madagasikara du 31 mars 2020).

Dans les réseaux de collecte les plus modestes, la reprise des livraisons s’est faite, mais avec une forte réduction des quantités habituellement livrées. A titre d’exemple, selon les responsables d’un centre de collecte de lait situé à Bama (Burkina Faso) qui collecte 100 litres de lait par jour en temps normal, n’en collectait plus que 50 à 55 litres à la mi-avril. Un collecteur opérant dans la région de Banfora (Burkina Faso) admettait qu’il était toujours possible de livrer du lait à Banfora, malgré la faible disponibilité du lait pendant cette période de saison sèche. Une faible disponibilité imputable bien plus à la saisonnalité de la production qu’au Covid-19 selon cet acteur (ce collecteur déclarait ainsi collecter entre 30 et 40 litres de lait par jour en saison sèche contre plus de 100 litres par jour en saison pluvieuse). A Madagascar, dans la région Vakinankaratra, selon l’article de Midi Madagasikara du 31 mars 2020 « des coopératives transformatrices ont carrément réduit leur commande auprès des éleveurs, passant de 1 000 litres à 600 litres par jour», et de nombreux opérateurs déclaraient : « Nous n’avons également plus assez de temps pour écouler nos stocks car les points de vente doivent être fermés avant midi. Et c’est une grosse perte, puisqu’elle représente 75% de notre production collectée dans la journée ».

Dans les réseaux de collecte de plus grande taille, l’approvisionnement des laiteries s’est maintenu et certaines laiteries ont bénéficié d’un afflux de lait, consécutif aux difficultés rencontrées pour transporter le lait dans les circuits informels. C’est du moins ce qui s’est passé au niveau de la laiterie Socolait situé à Antsirabe selon les déclarations des responsables de la collecte. Au Sénégal, selon le responsable de la collecte de lait chez Kirène, les producteurs des fermes des Niayes et les pasteurs et agro-pasteurs de Fatick ayant du mal à écouler leur production sur le marché local, se sont retournés vers Kirène. Il estimait, le 14 avril dernier, que le volume disponible pour la collecte avait ainsi été multiplié par 2 du jour au lendemain, doublant les prévisions de collecte de 50,000 à 100, 000 litres par mois. Il évoquait même un risque de dépassement de la capacité d’absorption de l’usine et partant le projet d’attribuer des quotas de livraisons pour gérer ce flux. Même son de cloche du côté de la Laiterie du Berger située à Richard Toll (Sénégal), où l’un des responsables estimait le 22 avril dernier que « nous réalisons notre budget en termes de chiffre d'affaires et la collecte de lait se porte bien aussi (100 tonnes en mars 2020) ».

2. Effet de la pandémie Covid-19 sur la production de lait à la ferme

A Madagascar, l’article de Midi Madagasikara du 31 mars 2020 évoquait une baisse du prix du lait à la ferme, de 1,600 ariary en temps normal à 1,000 ariary, en raison de la baisse de la demande au début de la crise sanitaire et des éleveurs forcés de parcourir de longue distances pour vendre leur lait en porte-à-porte ou au bord des routes, et d’important invendus, surtout le lait issu de la traite des vaches dans l’après-midi.

A Madagascar, la filière a déjà connu plusieurs crises dont elle s'est relevée, mais on craint un risque de lassitude des petits producteurs comme des agroindustriels. On redoute aussi qu’à plus long termes, les petits producteurs soient tentés d’abandonner l'activité laitière et de déstocker le cheptel laitier ce qui induiraient une baisse du potentiel laitier qui pourrait affecter les transformateurs locaux, et notamment les gros opérateurs comme Socolait.

Au Sénégal, les restrictions sur les déplacements ont impacté les petits producteurs, notamment à Fatick dans le bassin de collecte de Kirène. Les producteurs du bassin de collecte de la Laiterie du Berger ont été moins touchés grâce au réseau de collecte adapté. Les grandes fermes des Niayes ont elles aussi été touchées par les restrictions de mobilité. Ne pouvant plus vendre aussi facilement directement sur Dakar, du lait est plus facilement disponible pour Kirène depuis le début du confinement.

Au Burkina Faso, selon les témoignages recueillis auprès des producteurs la situation liée au covid-19 n’a pas eu un impact direct sur la productivité des vaches. Les stocks de fourrage et d’aliments étaient déjà constitués et la production a suivi son cours normal. Cependant du côté du bassin laitier de Bobo-Dioulasso, un mois durant, aux premières heures des mesures de restriction sur les déplacements prises par le gouvernement, les éleveurs n’arrivaient pas à écouler le lait car les collecteurs ne parvenaient plus à passer les postes de péage pour aller livrer le lait en ville aux laiteries. Les éleveurs habitués à livrer le lait en saison sèche du côté de Banfora ont également eu des difficultés d’écoulement de leur production car les laiteries n’arrivant plus à écouler tous leurs produits ont dû réduire les volumes de lait qu’ils collectaient/transformaient quotidiennement. Un éleveur situé dans le péri-urbain de Banfora témoigne que pendant les deux précédents mois, Labanko (laiterie installée à Banfora) ne prenait que 8 à 10 litres des 20 à 25 litres de lait qu’il lui apportait. Le reste était autoconsommé et donné à des personnes vulnérables (déplacés internes ayant fui le terrorisme du nord du pays). Cela a considérablement réduit le revenu de l’éleveur si bien que pour faire face à ses dépenses fixes telles que le payement des salaires des bergers il a dû recourir à ses produits agricoles. Il a par ailleurs réduit son noyau de vaches traites pour confier une partie aux bergers afin qu’ils profitent du lait.

3. Transformation du Lait

Dans bien des laiteries, la situation de crise a bouleversé l’organisation du travail et il est apparu de nouveaux enjeux pour continuer à fonctionner en situation d'état d'urgence (contraintes de circulation, protection des employés, etc.).

Au Sénégal, la Laiterie du Berger (environ 400 employés) en accord avec son Comité Hygiène-Sécurité au travail, ont mis en place les recommandations officielles (arrêt des salutations, port de masques, lavage des mains, distanciation entre employés, télétravail pour certains). Ils ont aussi décidé de suspendre les recrutements, formations, animations commerciales et campagnes marketing, de restreindre les déplacements du personnel entre les sites Dakar & Richard Toll, de suspendre les projets d'investissements, de se doter de budget additionnel de lutte contre la pandémie, de la mise en place de lavabos mobiles et de points de distribution de gel hydro-alcoolique, de la généralisation du port de masques et la mobilisation des deux médecins pour consultation à domicile. Tout ceci a forcément affectés les activités de la LdB, et induit des difficultés de se projeter à plus d'un mois avec un pilotage quasi-hebdomadaire.

Au Burkina Faso, les petites unités de transformations du lait ont fonctionné au ralenti depuis l’avènement du Covid-19 estime la directrice d’une petit laiterie présidente de la coopérative des UTLs de Bobo-Dioulasso. En effet, selon son constat les laiteries ont réduit de 25% leur activité avec la crise du Covid-19. Même les laiteries qui utilisent le lait en poudre sont impactées car les activités de transformation ne peuvent plus se faire au-delà de l’heure du couvre-feu (à partir de 19h UT).

A Madagascar, concernant la filière nationale, la principale conséquence est l'arrêt des fromageries artisanales qui représenteraient 70% du lait transformé selon une étude récente du CASEF. Ces arrêts sont en parti imputables à l'interdiction de circulation des taxis brousses utilisés par les collecteurs pour acheminer une partie du lait, mais également à la fermeture obligatoire des magasins l'après-midi et enfin à la crainte des déplacements qui ont diminuer la demande. Comme nous l’avons écrit plus haut, les grosses laiteries comme Socolait du secteur formel, ont bénéficié d’un afflux de lait. A long terme, les producteurs pourraient bien être incités à se tourner vers ce débouché qui s’est montré plus résilient en période de crise sanitaire. Cet afflux de lait, a permis à Socolait d'augmenter son standard de qualité, mais se pose dans le même temps la question sur ses capacités techniques et logistiques à maitriser de si grand volume à transformer.

4. Commercialisation du lait

Au Burkina Faso, un des premiers responsables de la laiterie Labanko estimait au début de la crise que « c'est la distribution des produits transformés aux clients qui est la plus impactée par la situation du Covid-19. Labanko distribue normalement ses produits sur une bonne partie du territoire national (de Bobo-Dioulasso à Ouagadougou) et à Korogho en Côte d’Ivoire. Cette distribution se fait surtout via les sociétés de transport de passagers en commun et avec l’arrêt des transports en commun, Il est donc devenu impossible pour Labanko d’acheminer ses produits via ce canal vers ses clients ». Dans la zone de Bobo-Dioulasso, les transformateurs se plaignaient de l’augmentation des pertes des produits laitiers par suite de mauvaise conservation auprès des distributeurs. Ces derniers étant contraints à fermer plus tôt leurs boutiques et ayant l’habitude de couper leur réfrigérateur avant la fermeture retrouvent au matin des produits laitiers altérés qu’ils retournent aux transformateurs.

A Madagascar aussi, la fermeture obligatoire des magasins l'après-midi a fortement ralenti la distribution des produits laitiers.

Au Sénégal, les boutiques ont été impactées par la fermeture due au couvre-feu de 20h à 6h puis, à partir du Ramadan, de 21h à 5h. En outre, elles suscitent une méfiance certaine des consommateurs alors que des commerçants font partie d’un corps de métier atteint par la Covid19, notamment à Dakar. Aussi, cette situation profite-t-elle sans doute aux supermarchés qui ont très rapidement réagi aux mesures barrières pour rassurer leurs clients. Cette tendance à l’achat dans les supermarchés était toutefois enclenchée avant le début de la pandémie.

5. Consommation des produits laitiers

Au début de la crise, au Burkina Faso, un des responsables de la laiterie Labanko signalait une baisse de la consommation sur le marché local de Banfora eu égard au couvre-feu en vigueur de 19 h à 5 h et à la baisse du pouvoir d’achat des populations liées au ralentissement général de l’activité économique dans le pays.

A Madagascar, l’article de Midi Madagasikara du 31 mars 2020, indiquait plutôt une hausse de la demande des consommateurs, surtout depuis l’apparition du coronavirus à Madagascar. Une hausse que les transformateurs avaient du mal à satisfaire parce que selon le témoigne d’opérateur de la filière lait de la région du Vakinankaratra « on ne peut vendre que le matin jusqu’à 12 heures, en plus des problèmes de transport. Du coup, nous ne vendons plus que 300 litres au lieu de 700 litres par jour avant les mesures de confinement ». Les consommateurs se sont plus tournés vers les produits à longue conservation type poudre et lait concentré.

Au Sénégal, les deux laiteries partenaires du projet Africa-Milk, la Laiterie du Berger et Kirène s’apprêtaient de toute façon à faire face à une augmentation de la demande en produits laitiers avec le mois de Ramadan et la hausse saisonnière des températures, favorable à celle de la consommation de produits laitiers. Globalement, les rayons des supermarchés et des boutiques ont été correctement achalandés. Alors que certaines rumeurs prédisaient des ruptures pendant le Ramadan, rien de tel n’a été constaté au Sénégal.

6. Importations des produits laitiers

Au Sénégal, et plus particulièrement à Dakar, il n’y a pas eu d’arrêt des importations de lait en poudre. Juste des retards à la livraison avec une logistique maritime perturbée en amont.

A Madagascar et au Burkina Faso, nous n’avons pas obtenu d’information sur l’évolution du rythme des importations de poudre de lait et de produits laitiers divers depuis le début de la crise sanitaire

7. Actions pour relancer les filières lait local

Au Burkina Faso, sous l’égide de la coopérative des unités de transformations de lait de Bobo-Dioulasso, des échanges sont en cours avec les éleveurs et les collecteurs pour aller à la rencontre des autorités pour obtenir un appui éventuel dans le cadre des mesures sociales mises en place par le gouvernement en vue de soutenir les populations dans le contexte de crise due à la Covid-19. Le gouvernement a en effet annoncé 25 milliards de francs CFA pour soutenir le secteur de l’agriculture. Jusque-là ce soutien n’est pas opérationnel et les structures déconcentrées du ministère des ressources animales n’ont pas reçu les moyens nécessaires pour la mettre en œuvre.

Dans les deux autres pays des annonces des autorités ont été faites en appui global à l’économie sénégalaise et plus particulièrement à l’élevage.

 

_________________

(1)    SELMET, Univ Montpellier, CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro, Montpellier, France

(2)    Laiterie du Berger, BP 24001, Ouakam, Dakar, Sénégal

(3)    Kirène, SIAGRO, BP 7020, Dakar, Sénégal

(4)    ISRA, LNERV, Front de Terre, Hann Mariste, BP 2057, Dakar, Sénégal

(5)    FIFAMANOR, BP 198, Antsirabé, Madagascar

(6)    SOCOLAIT Route Mandaniresaka Antsirabe 110, Madagascar

(7)    INERA, Station de Farako-Bâ, 01 B.P.: 910 Bobo-Dioulasso 01, Burkina Faso

(8)    Plateforme d’innovation lait de Banfora, Burkina Faso

[1] See the Covid-19 Situation update for the WHO African Region, 19 May 2020, https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/332150/SITREP_COVID-19_WHOAFRO_20200520-eng.pdf

[2] See for example the OECD Sahel and West Africa Club Secretariat bulletin : http://www.oecd.org/swac/coronavirus-west-africa/

Publiée : 27/05/2020